Bosser en tant que correspondant pour le magazine Japan
Vibes n'est pas toujours une sinécure. Il arrive parfois qu'une interview se
décide à la dernière seconde et que le rédacteur en chef vous demande de faire
300 kilomètres dans le Japon dans l'heure qui suit ! Ma mission, si je
l'acceptais, était donc de quitter ma jolie ville de Niigata pour m’entretenir
avec une personnalité du manga assez tard dans la soirée à Tôkyô ! L'heure à
laquelle l'interview avait été programmée m'empêchait de rentrer dans ma belle
province le soir même. Je demandais alors au rédacteur en chef: « Super et je
fais comment ce soir, moi ? »Sa réponse fut pour le moins inattendue: « Ben
écoute, le mag n'est pas très riche alors pourquoi ne pas crécher dans un
Capsule Hotel ?»... Hein ? Ok, très bien chef! Vos désirs sont désordre… Va
pour le Capsule Hôtel!
Un jeudi soir de début mars, 20h30 :
L'interview pour Japan
Vibes s'est bien terminée, mais il est trop tard pour rentrer dans ma province
encore enneigée. Le maigre pécule qui m'a été attribué ne me laisse aucune
alternative : c'est le Capsule Hotel ou la rue...
Comme son nom
l'indique, un « Capsule Hotel » est un hôtel minuscule. Il convient de préciser
tout de même que ce n'est pas le bâtiment en lui-même qui est minuscule mais
les chambres. Peut-on cependant parler de « chambres » ? Ne serait-il pas plus
judicieux d’utiliser d’autres vocables tels que « cabines », « ruches » ou
encore… « tombeaux » ?
À chacun son vocabulaire certes, mais en ce qui me concerne,
si la perspective de m'adonner à cette expérience me rebutait dans un premier
temps, je dois bien avouer qu'au fil des heures, ce sentiment s'est transformé
en une sorte de joie et d'impatience incontrôlables. Je demande alors conseil
au premier Tokyoïte croisé sur mon chemin. Il s'agit d'un salary man. Il me
répond sans l'ombre d'une hésitation :
« Vous trouverez des Capsule Hotels à proximité de toutes
les gares de la Yamanote-sen, mais je vous conseille la gare de Shimbashi.
C’est là qu’on en trouve le plus… »
La Yamanote-sen, pour l’anecdote, c'est la ligne de train
qui circule en boucle et relie tous les grands axes du centre de la capitale
nippone.
21h00 :
Une fois arrivé en
gare de Shimbashi, je cherche parmi les milliers de néons ceux qui me
permettront de passer une nuit au chaud. Bingo! Il y a au moins trois Capsule
Hotels dans la même rue !
Je choisis donc le
premier, qui me semble le plus chic. Il faut dire que la publicité vendant ses
mérites est aguicheuse: « Notre établissement vous propose de passer une nuit
dans une ambiance provençale ! ».
« Provençale? Comme le Ratatouille Burger des Mac Do
japonais ? » pensais-je avec un certain cynisme (voir Japan Vibes #8) .
Qu’importe, il fait
froid dehors, je pénètre à l’intérieur. Les prix détaillés sont affichés à la
réception : 4000 yens la nuit... C'est plus onéreux que je ne l'avais imaginé !
On m'avait plutôt parlé de tarifs avoisinant les 2500-3000 yens...
Je me console
cependant en imaginant ma cabine diffusant des senteurs de lavande, un
distributeur automatique de soupe bouillabaisse et un réveil composé des plus
jolis bruits de la garrigue...
Je paie d'avance et
le réceptionniste me remet une petite clé pour ouvrir et fermer le casier qui
me permettra de ranger mes effets personnels. Ma « chambre » est le tombeau
numéro 203... En déposant mes affaires de valeur dans mon casier, je remarque
qu'un pyjama, qu'une serviette de bain, que des sandales légères ainsi qu'un
petit kit de toilette m'attendent. Ça fait plaisir ! Surtout que dans la
précipitation du départ, je réalise que j'ai oublié ma brosse à dents.
Je monte à l'étage et
en arrivant, quelle surprise ! Je découvre une pièce grande comme ma chambre
française mais dans laquelle une infrastructure digne de nos amies les abeilles
permet de loger au bas mot une dizaine de personnes !
Je m'y attendais,
certes, mais ça fait toujours un choc lorsque vous n’êtes habitué qu’aux hôtels
5 étoiles (c'est pas vrai non plus, mais bon...).
Ma cabine, 100%
plastique, n'est en réalité composée que d’un matelas de 10 cm d'épaisseur,
d’une couverture épaisse et de draps propres. Tout cela n'a absolument rien de
provençal mais allez savoir pourquoi, je m'y attendais un peu (l'expérience du
ratatouille burger, a fait de moi un expert de la « Provence » au Japon).
Au niveau des
équipements, ça donne à peu près ça : un renfoncement sur l'une des parois de
ma suite royale me sert de table de nuit. Un tableau de bord futuriste me
permet aussi de contrôler la climatisation, la lumière, la radio, le réveil
ainsi que la télévision !
On se croirait dans
un lit de la fusée de Tintin, mais sans les poils de Milou.
Les dimensions de la
cabine ? Eh bien je ne vous surprendrai pas en vous annonçant que Shaquile
O'neal y verrait certainement quelque chose à redire, puisque que ma paillasse
ne mesure que 200 cm de long sur 95 cm de large.
À côté de cette pièce abritant la grande ruche, on trouve
aussi une salle de douche ainsi que des cabines de toilettes. Également à la
disposition immédiate des clients, quelques distributeurs automatiques
proposant pléthore de boissons ainsi que moult soupes de nouilles
instantanées... Et ma bouillabaisse ??? Niet! Dans tes rêves la bouillabaisse!
22h00 :
En dépit de ma déception,
je sors de l'hôtel, ma facture et la clé de mon casier en poche (la facture
sert à prouver que je suis client). Tant d'émotions m'ont décidemment creusé
l'appétit. Ça tombe bien, de nombreuses échoppes proposant sushis, ramen, riz
au curry et autres hamburgers égayent la rue. J'évite le Mac Do et ses
sandwichs bullshit et j’opte finalement pour un bon bol de ramen.
22h30 :
J’ai bien dîné. Je
passe au combini pour m’acheter un paquet de biscuits, du jus de pomme et je
décide de retourner dans ma cage. Il n'y a aucun client dans les autres
placards humains. J'en profite donc pour prendre ma douche et enfiler le pyjama
de l’établissement. Une fois installé dans mon suppositoire géant, je ferme le
rideau d'entrée et décide de regarder la télé. Aussi étonnant que cela puisse
paraître, il faut que je vous avoue une chose : je commence à bien aimer le
Capsule Hotel.
Pourquoi? La hauteur de la cabine permet finalement à
quiconque faisant moins d'1,90 m de s'adosser aisément contre les parois. Et
j’ai un peu l’impression de réaliser un vieux rêve de gosse ! Qui n'a jamais
souhaité, enfant, de vivre dans une cabane, à l'abris de tous les regards et
des obligations scolaires ? Une cachette dans laquelle on serait libre de
s'empiffrer de coca, de chocolat tout en regardant la télé à volonté ? Je vous
rappelle que la clim’, la lumière, le son, l'image et les chaînes sont
contrôlées par un tableau de bord « futuriste ». Bref, je suis retombé en
enfance et ici, tout est enfin permis (dans d'étroites proportions, il est
vrai...) ! Voilà, le Capsule Hotel, c'est exactement ça!
Affalé comme une
larve et buvant mon jus de pomme, je mate la télé... C'est le pied !
23h00 :
Malheureusement, je
n'en fini plus de zapper. Il n'y a rien d'intéressant. Sur une chaîne, une
idole, aussi jolie que ridicule chantonne un air à 2 yens (ce qui ne fait pas
beaucoup). Et sur la NHK, on y parle de la formation des atomes dans l'océan
Indien... Bref, j'éteins le petit écran et sors un manga de mon sac... Le
panard, je vous dis, le panard! Je reprends un peu de jus de pomme, je suis
heureux.
00h20 :
Je suis raide mort
(le hasard faisant bien les choses, je suis déjà dans le cercueil), j'éteins la
lumière et je laisse Morphée me prendre dans ses bras... (la pauvre n'a pas
beaucoup de place...). Je m’endors aussi facilement qu’un gros bébé.
01h00 :
Un vacarme pas
possible me tire de mon sommeil et de mes rêves de soupe au poisson. Des salary
men éméchés déboulent en trombe dans leurs cabines... J’essaie de reprendre mes
esprits et je comprends que l'heure des derniers trains est derrière nous.
Plutôt que de coucher dehors, les hommes d’affaires nippons préfèrent
légitimement passer la nuit dans ce genre d'établissements. J'ai cependant du
mal à me rendormir. En effet, difficile de trouver la paix intérieure et
extérieure entre le bruit de la douche, de la machine à distribuer les boissons
qui fait un bruit assourdissant à chaque fois qu'une canette tombe et le type
du dessus qui se dispute à tout rompre avec sa femme au téléphone (d'après ce
que j'ai compris, il aurait dû rentrer chez lui vers 21h00, mais cela ne nous
regarde pas...).
02h00 :
Enfin, tout notre
petit monde semble enfin disposé à roupiller. Je peux enfin me rendormir...
02h30 :
Mon voisin habitant
le tombeau de gauche tousse comme un phoque. Une bronchite du tonnerre secoue
le pauvre homme et fait trembler toute la ruche... Il réveille tout le monde !
Tout le monde? Non, pas mon comparse de droite qui ronfle comme un éléphant heureux.
Jamais je n'aurais cru qu'on puisse ronfler à ce point sans se réveiller
soi-même...
Toutes ces nuisances
et ces désagréments me mettent un peu mal à l’aise et me font subitement
prendre conscience d’un fait horrible ! Et si, subitement, un énorme séisme
venait secouer Tôkyô??? Serais-je condamné à mourir écrasé comme une fourmi,
entouré d'un futur divorcé, d'un ronfleur professionnel et d'un salary man avec
la gorge en feu ? Et dire que j'avais rêvé de mourir dans un grand lit de
satin, entouré par 12 nymphettes dénudées ! Merci Japan Vibes !
02h45 :
Finalement, après
avoir été le témoin auditif du pet magistral du client du dessus, je parviens à
trouver le repos. J'ai réussi à me persuader que même dans un 5 étoiles, rien
ne garantissait que je n’allais pas mourir écrasé par un gigantesque lustre en
cristal suspendu au dessus de mon triple bed.
05h30 :
Et c'est reparti! Un
énième boucan infernal m'oblige à interrompre derechef ma nuit. Eh oui, c'est
l'heure des premiers trains... Les salary men se lèvent bruyamment pour
retourner au boulot ou bien aller chercher le bentô que leur femme leur a
préparé...
En 20 minutes, tout
le troupeau est sorti et je me retrouve seul dans la ruche. Enfin, c'est ce que
je croyais, car un nouveau pet monstrueux du type d'au-dessus me prouve le
contraire... Tout va bien, le plastique a beau laisser passer les sons, les
odeurs restent uniquement chez leurs propriétaires... Je me rendors l'esprit et
les narines tranquilles.
09h30 : Le réveil automatique du tableau de bord retentit.
Il s'agit d'une sonnerie tout à fait quelconque. Là encore, rien à voir avec
les cigales de notre chère Provence. Je me lève et sors de ma cabine. Je dois
avoir quitté la fourmilière dans 30 minutes. Après une douche rapide bien
méritée, je m’habille et récupère mes affaires personnelles dans mon casier.
10h00 :
Je passe par la
réception. Le réceptionniste, frais comme un gardon (pensez, il a dormi chez
lui, lui !) me salue respectueusement. Il me demande même: « Avez-vous passé
une bonne nuit ? ». Gentleman, je lui réponds à la japonaise: « Oh oui,
excellente ! Je reviendrai ! ».
Visiblement satisfait, il me souhaite une bonne journée. Je
quitte la Provence pour revenir à Tôkyô. Une fois dans mon bus longs trajets,
je repense à toute cette expérience. Une idée me vient même à l'esprit.
Pourquoi ne pas rédiger un article pour Japan Vibes afin d’en faire profiter
tout le monde ?
Conclusion :
En guise de
conclusion : pesons le pour et le contre.
Si vous souhaitez
vous amuser comme un gosse dans sa cabane ou si vous avez toujours rêvé de
passer la nuit dans une ruche, alors le Capsule Hotel est fait pour vous. Si
vous désirez vous créer un souvenir insolite et que vous êtes insensible aux
différents bruits que le corps humain est capable de produire, alors n'hésitez
pas. Vous allez adorer !
Le prix m'a semblé un
chouia abusif par rapport au quotient repos récupéré mais je n'ai manqué de
rien. J'ai même pour l'occasion récupéré une brosse à dents toute neuve !
Mesdames et
mesdemoiselles, ne soyez pas jalouses, un étage réservé aux femmes et interdit
d’accès aux hommes sera aussi à votre disposition. À mon avis, les nuisances
sonores seront certainement moins intenses (quoique ça reste encore à
prouver...). . Vous devriez donc trouver plus facilement le sommeil que nous,
les hommes (y'a pas de quoi être fier...).
En revanche, sachez
que ce genre d'établissements n'est pas fait pour ceux qui souhaitent passer
une nuit tranquille. Il s’agit sincèrement d’un service de dépannage et tout a
été pensé pour les salary men ayant loupé leur dernier train.
Et enfin, dernier
conseil à tous les lecteurs qui vouent un culte à la région de Marcel Pagnol ou
à ceux qui détestent être réveillés toutes les demi-heures : trouvez-vous une
autre niche !
Photos et textes:
Florent Gorges
(Mars 2004)
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