samedi 30 novembre 2013

Hors-Jeux n°2: ITW de MOISE THE DUDE


HORS-JEUX

Chaque mois une personnalité en retrait du monde médiatique, un artiste émergeant en quête de gloire ou de fortune revient sur son parcours et son actualité.
Les parallèles possibles entre le jeu vidéo et le rap sont très nombreux. On y parle tout autant de game, de style hardcore, d’une pratique, à ses débuts, aux mains d’amateurs éclairés (souvent seuls dans leur coin) devenue une industrie de masse. Ils s’affichent tout deux sur les murs (en graff et pixel art) et quelques artisans, de chacun de ces domaines, sont devenus de véritables stars - certains de leurs produits sont reconnus comme des chefs d'œuvres. Les médias "importants" en parlent en évoquant des phénomènes de société (souvent en mal) ou au contraire, dans de rares cas, « d’arts nouveaux et émergeants de l’industrie des loisirs ». Les jeux en eux même (de "parappa the rapper" à "50 Cent bulletproof"), les samples issus de jeux puis injectés dans le rap -à titre d'exemple on peut citer les sons de Street fighter 2 repris autant par NTM que par I AM- et les divers clins d’œil d’un monde à l’autre (nombreux sont les rappeurs modélisés) sont devenus légions.

Les parallèles possibles entre le jeu vidéo et le rap peuvent être nombreux. Cette interview pour le JT de Gameone (en direct de l'E3) comme pour finir de l’attester.


Il était donc on ne peut plus logique que cette rubrique « hors jeux » face un peu de « hors pistes », et donc accueille dans ses colonnes non pas un dentiste- acrobate, un vidéaste-charcutier ou un banquier- violoniste mais un rappeur- gamer (un rien retrogamer) : MoÏse The Dude. 

Salut Moise, j’ai une question d’el didou pour commencer (l’invité qui te précède) :
Qu’est ce qui fait qu’on est un homme Mr Lebowski ?
Eh, eh… c’est une question issue du film La réponse viendra donc directement  de la bouche de Jeff Bridges (ndr : ce personnage issu du film « The Big Lebowski », de Joel et Ethan COHEN, a inspiré le dernier album du rappeur). En français, ça donne ça (à peu près) :
Le Dude : Je sais pas, aucune idée Monsieur. M.Lebowski : Est-ce la capacité d’agir toujours à bon escient ? A n’importe quel prix. Est-ce que c’est ça qui fait qu’on est un homme ? Le Dude : Oui, ça et une paire de testicules.


Tu pourrais parler de ton passé de gamer ? Quels liens tu as avec les jeux vidéos ?
Aujourd’hui je ne joue plus à rien ou presque. Mon passé de gamer, c’est surtout l’arrivée de la Game Boy, de la NES, la Game Gear puis la SuperNES, la Megadrive etc, etc. J’étais aussi bien SEGA que NINTENDO. Les premières générations de consoles qui nous rendaient fous. C’était le cadeau de Noël ultime, le truc à avoir. Avec des jeux mythiques, Sonic, Mario, Mortal Kombat, Street Fighter, Aladin sur Megadrive, folie !! Mickey aussi, le jeu qui commence en noir et blanc là, il était dingue. NBA Jam évidemment « he’s on fire !! », Megaman, Double Dragon sur Game Boy qu’est-ce que j’ai pu jouer à tous ces trucs. Des trucs obscurs aussi dont j’ai oublié le nom mais qu’on a tellement kiffé à l’époque. Quand t’avais pas les thunes pour avoir TA console, tu squattais chez ceux qui en avait une et puis tu tannais les parents pour qu’ils cèdent, normal. En fait j’ai commencé à décrocher au moment de l’arrivée de la Playstation. J’ai pas trop joué à la Play, j’étais plus à vouloir traîner, à faire du basket, à m’intéresser au rap déjà un peu. Mais j’avais toujours ma Game Boy, la première ! Je me rends compte que j’ai eu accès assez tôt aux jeux vidéos car mon père avait Commodor 64, avec des grosses disquettes carrées souples et on avait pas mal de jeux déjà, « Boulder Dash », « Barbarians », des casses-briques, un jeu Rambo où je bloquais hyper vite mais qui me fascinait etc, etc. Donc pour quelqu’un qui est complètement étranger à cet univers maintenant, j’ai un petit vécu de gamer finalement.


Et ton passé de rappeur... Comment tu es venu au rap ?

Je suis venu au rap en tant qu'auditeur, via le rap français d'abord, avec Solaar par exemple, puis j’ai suivi jusqu'au rap ricain et ayant la volonté d'en savoir un maximum, je me suis forgé une culture en m'intéressant aux débuts de cette musique, j’ai remonté le temps pour avoir une vision complète ou presque. Je kiffais les sonorités, les gros beats, le travail du texte, c'était nouveau et hyper excitant. Et puis au fur à mesure je m'identifiais aux mecs, ce qu'ils me racontaient me parlait et/ou me faisait fantasmer. Par ailleurs j'ai toujours aimé écrire, j'ai toujours aimé les mots, la lecture et sentant le besoin de créer à mon tour je me suis mis au rap car c'était le truc qui me passionnait. De là, rencontre avec les potes du Bhale Bacce Crew, parenthèse avec le rappeur Soa le temps d’un maxi, puis les projets avec Cosmar et puis l’aventure en solo, le tout étalé sur un peu plus de 10 ans…avec beaucoup de métamorphoses !

Il y a un type, dans un type dans un de tes clips, avec un shirt "le rap c'etait mieux avant" , il prend une sacrée rouste...

Il représente les mecs de 20 piges qui sont nostalgiques d'une époque qu'ils n'ont pas connue. Ceux aussi qui pensent que le rap n'aurait jamais dû évoluer mais aurait dû rester bloqué au milieu des années 90, Surtout, ceux qui disent "le rap c'est (ça doit être) ça". Non. Le rap c'est plein de trucs. J'ai du mal avec la rigidité de ces considérations. Sûrement parce que je n'aurai pas les clics de ces mecs là ahahah.

Le rap c’est un feeling. Moi quand j’entends un rappeur je le juge sur plusieurs critères. Instru, attitude, discours, flow, technique. Et puis après je mets ça en perspective avec ce que j’ai déjà entendu. Et à partir de là seulement je me dis « ok c’est cool, y a un truc » ou au contraire « ça sert à rien, c’est creux et/ou c’est déjà entendu », mais je n’ai pas de préjugés à la base. 

A qui est-ce que tu penses "emprunter" le plus parmi ta collection de references ?

Dure question. J'ai plein de références liées au rap, à la littérature, au cinéma etc. Je ne vais pas faire de liste mais disons que je bouffe des trucs, je les digère et ça ressort d'une manière ou d'une autre dans mes raps. C'est des détails parfois. Des intentions, des citations. Pour l'EP forcément le Big Lebowski est présent, c'est le concept. Mais un morceau comme "(exit to) San Fernando", dont contre toute attente on me dit du bien, c'est un mélange de narration à la Gainsbourg (pour le côté parlé, quelques jeux de mots etc) et de récit à la Bret Easton Ellis (pour le côté porno-drogue-los-angeles).


Combien de temps il te faut pour "pondre" un titre...Comment ça se passe d'ailleurs (la musique, tu l'ajoutes après les textes ou c'est l'inverse) ?

C'est complètement aléatoire ! Ca peut me prendre 20min comme 3 mois. C'est totalement au feeling, je note régulièrement des bouts de textes sur mon mobile et puis de fil en aiguille ça prend forme. Parfois une phrase peut amener tout le reste rapidement, parfois je fais du bricolage avec toutes mes notes et je donne forme à quelque chose qui me semble suffisamment cohérent et abouti pour en faire un morceau. Après tout dépend de la musique aussi. Parfois je vais écouter une instru qui va me donner tout de suite un flow, et le texte qui va avec, parfois j'écris le texte sans savoir quelle instru je vais utiliser. Il arrive également que j'ai un début de texte et que je finisse le morceau après avoir trouvé la musique qui va avec, ce qui peut aussi m'amener à écrire "en studio". Juste avant d'enregistrer. Je n'ai pas de routine particulière.

Au fait, hier, tu étais plus I am ou ntm ?

Les deux !! Ils ne faisaient pas le même rap et c'était complémentaire. NTM c'était influence gros son New-Yorkais et la force d'un message à la fois simple mais très bien tourné et très bien rappé, avec l'irréverence des mauvais garçons. Et IAM c'était quelque chose d'un peu plus ouvert musicalement et au niveau des textes avec des concepts, des choses presque plus littéraires. Akhenaton est un des meilleurs rappeurs français. Cela dit je ne les écoute plus aujourd'hui. NTM n'existe plus et ce que fait IAM maintenant ne me touche pas ou très peu. J'ai essayé de tendre une oreille sur le dernier album et sur le dernier solo de Shurik'n mais je m'ennuie assez vite. Le dernier solo de Joey Starr était plus intéressant d'ailleurs, même si je ne l'ai écouté qu'une fois et n'y suis jamais revenu. 

Aujourd'hui, Booba ou roff ? 

BOOBA. Sans l'ombre d'une hésitation. C'est un des rares MC à faire vivre le rap français, créativement parlant. Il fait constamment évoluer son flow, il cherche toujours à être à la pointe et tu sens que le mec veut se surprendre lui-même, il prend plaisir à jouer sur les mots, avec son flow, à tenter tel ou tel truc, il joue avec sa voix (et même sans autotune), il cherche des rythmiques, des nuances, il y a beaucoup de musicalité dans son rap, il va falloir que les gens s'en rendent compte. Ca groove. C'est un artiste. Rohff je ne supporte pas. J'aime pas sa voix, j'aime pas son flow, je me fous de ce qu'il raconte, c'est poussif. Je n'ai jamais réussi à écouter un morceau en entier (à part peut-être ses tout débuts), je trouve ça très laid à l'oreille. Puis le mec est dans la compèt, mais il ne fait que suivre, il n'est jamais devant. Je ne comprends pas qu'il y ait encore comparaison entre ces deux là (au delà des ventes). 

Tu as grandi dans quelle ville, Mo, dans quel quartier ? Et tu traines où en ce moment...?

J'ai grandi à Mainvilliers, en banlieue de Chartres en Eure et Loire (2-8), c’est à une heure de Paris en train. C'est un mélange de zones pavillonnaires et de cités. Je traînais beaucoup dans les cités qui étaient à côté de chez moi avec des potes de quartiers (Avenue de Bretagne !). Des reubeus en Lacoste qui écoutaient des compils de funk et de r’n’b et du rap français, un peu. Je traînais sur les terrains de basket aussi. Je suis Parisien depuis 10 bonnes années désormais, je dirige un réseau de putes chinoises vers la Place Clichy.

^^ Combien tu vends aujourd'hui, et pour demain, tu comptes faire quoi ?

Aujourd'hui, avec ce projet là je ne vends rien car j'ai choisi de diffuser mon son gratuitement. Dans un univers aussi durement concurrentiel et financièrement sinistré que le rap et vu que je fais un truc un peu à part, je ne veux pas me priver d'une audience pour 5 ou 10 euros. Je gagne de l'argent sans la musique et ceci finance cela et plus encore. Y en a qui se payent des voitures, moi je me paye des clips et surtout, je me fais plaisir. Demain je ne compte pas vendre grand chose non plus. C'est aussi une liberté, je n'ai pas d'objectifs de rentabilité, je fais ce que je veux à tous niveaux. Mon but c'est de grossir mon audience autant que possible, que les gens m'écoutent, aiment et partagent, que mon blaze se fasse tranquillement sa petite place. Si argent il y a, ça viendra après. Mon audience est diverse. Une partie vient de ceux qui m'écoutaient quand j'étais dans le Bhale Bacce Crew, une partie a pu suivre aussi mes aventures musicales avec Cosmar et une partie est toute neuve et me découvre avec l'EP et les clips. Après je ne saurais pas te dire les tranches d'âge, le sexe etc...J'aime croire qu'il y a un peu de tout. J'aime aussi bcp quand des gens qui n'écoutent pas trop de rap apprécient ce que je fais et ça arrive régulièrement….même si le revers de ça c’est que parfois ce sont des gens qui ne comprennent pas vraiment le rap ;).

Quels sont tes influences ? (niveau son, écriture, "savoir vendre"...)

Niveau son, j'aime tout ce qui est lent et un tantinet synthétique. Soit quelque chose qu'on trouve surtout au sud des US. Du gros clap, de l'infrabasse, des nappes, c'est ce que j'aime.

A côté de ça, je suis aussi un gros gros fan de Jim Jones (Dipset - NewYork) par exemple. J'aime bien aussi des mecs comme Dom Kennedy (Los Angeles), ça m'inspire vraiment.

Côté France, c'est varié, j'aime bien les trucs à la cool façon Frer200 mais aussi beaucoup de trucs un peu plus vénèr et/ou sombres comme Vîrus, La Rumeur, Kaaris, Booba, Salif, Seno, etc. J'aime bien l'insécurité - même folklorique -, dans le rap français. Et moi-même, en fait, je ne fais jamais des morceaux franchement souriants, j'y arrive pas. Faut qu'il y ait du tourment, qui peut aller de la mélancolie à la haine. La haine smooth, bien sûr !


Le savoir vendre c'est un truc d'autodidacte et principalement basé sur internet. Tu fais du son, tu veux viser un nouveau public, tu veux que ça soit écouté...tu n'as pas trente six solutions, tu prends ton courage à deux mains et tu fais du mailing, tu vas vers les gens, tu deviens attachée de presse et community manager, tu vas serrer des paluches, t'approches des gens que tu apprécies et qui sont susceptibles d'apprécier ce que tu fais...Au bout d'un moment et avec quelques conseils tu finis par avoir de la méthode, c'est plus naturel à faire. J'essaye de rester moi-même et d'être poli. Quand je veux que quelqu'un écoute mon son, je propose, après ça suit ou pas. Mais ça reste un boulot à plein temps qui fonctionne beaucoup sur la construction d'un réseau et dont les fruits ne sont ni immédiats ni garantis. Surtout qu'à la fin c'est l'auditeur qui choisit. Cela dit il y a parfois de beaux échanges avec des gens que tu ne vois pas forcément physiquement mais avec qui tu sens de vraies affinités et c'est très agréable. 

D'où est ce que tu tiens ta spécificité d'après toi ? Ton style...

De la volonté semi consciente de faire un truc qui ne ressemble pas à grand chose d'autre et un truc qui soit proche de mon rythme cardiaque ahah. Rapper vite sur du boom bap à 90bpm avec plein d'allitérations et autres je peux, je l'ai fait longtemps. Mais d'une part ça ne ressemble pas (plus) à ce que j'ai envie d'écouter et d'autre part y a plein de mecs qui le font mieux que moi. Y a tellement de monde qui fait du rap que je préfère me démarquer et creuser un sillon qui m'est propre. Sachant sur quel type de prod je peux être bon, je mélange ensuite mes influences et mes références, et ça donne...ce que ça donne. J'ai des envies, des idées, une volonté et après j'arrive ou pas au rendu souhaité.

Comment peut on se procurer ton album ? As-tu des pistes pour le distribuer à plus grande échelle ?

Hm...une production à grande échelle, ça ne dépend pas vraiment de moi en fait. Si ça arrive c'est que j'aurais signé quelque part, ce qui pour l'instant est une hypothèse très....hypothétique ;). Bandcamp, la plateforme où se trouve le premier EP est un bon outil de distribution digitale pour les indés comme moi. Les gens peuvent payer ou non, choisissent le format des fichiers qu'ils téléchargent, peuvent partager et télécharger toute l'oeuvre ou juste un morceau, peuvent aussi écouter sans télécharger donc c'est souple et pratique pour tout le monde. Je signale que l'EP est distribué sur itunes, amazon, deezer, spotify et autres plateformes d'écoute et téléchargement légal. Je l'ai fait car je n'avais aucune raison de m'en priver. Autant que les sons soient partout. A part ça...à part être distribué en physique dans les Fnac de France ce qui serait dans ma situation actuelle une erreur stratégique et financière, je ne vois pas trop ce que je peux faire de plus, en fait.

Quels sont tes trois dernières acquisitions- en musique, jeux vidéo et dvd ?

Alors en musique...le dernier album de Dom Kennedy (L.A.), la dernière tape de Chazzy Sweat un rappeur texan et un vieil album de Playa Fly, rappeur de Memphis, ancien de Three 6 Mafia.

En Blu-ray/DVD : « Zero Dark Thirty », « Les bêtes du sud sauvage » et « La naissance d’une nation »

En Jeux Vidéos : alors là....Angry Bird ça compte ? Mario Galaxy, Super Mario Bros Wii,...en fait ça fait mille an que j'ai pas acheté un jeu vidéo..Je ne joue plus qu’ à Mario Kart avec mon frère quand on se retrouve chez les parents.


Quel est LE FILM, L ALBUM et LE JEU VIDEO que tu rangerais dans la catégorie "Meilleurs (album, film, jeu vidéo) de tous les temps dans l'histoire de l'humanité " ?

Sache que cette question est absurde !! C'est impossible de choisir. Mais je vais jouer le jeu en me permettant des exaequo ;).

Le Film : "Sonatine" de Takeshi Kitano exaequo avec "Heat" de Michael Mann

Album : "ATLiens" d'Outkast, Portishead Live in NYC.

Jeu Vidéo : Tetris, Super Mario (version première gameboy), BART SIMPSONS ESCAPE FROM CAMP DEADLY (qu'est-ce que j'ai pu jouer à ce jeu putain !! Il était dur!!)

Bouquin : "La famille Royale" de William T. Vollmann, mais « Voyage au bout de la nuit » que je découvre actuellement, me met un grosse claque.


Des projets futurs ?

La suite de l'EP, avec sûrement des clips et du visuel. Je croise les doigts pour être inspiré déjà, et que les gens accrochent comme sur le premier volume ensuite !

Une question pour l'invité du mois prochain ?

Je ne sais pas qui tu es ni ce que tu fais (à priori du dessin) mais ma question est la suivante : Est-ce qu'il y a un truc, un objet, un lieu, un personnage whatever, que tu n'arrives pas à dessiner ? Genre tu peux le dessiner mais ça ne te plaît pas, il y a quelque chose qui t'échappe, tu n'es jamais content du résultat ?

Merci Dude ^^ !

Pour continuer à suivre, c'est par ici  +Moïse The Dude. Pour écouter l'album (avec un son optimisé) c'est mieux par  sinon.

vendredi 15 novembre 2013

The Legend of Zelda: A Link to the Past par Mathieu Goux.

Anecdotes de gamers
Une fois par mois (parfois deux) un joueur expérimenté (de la catégorie des passionnés les plus vifs) nous fait revivre une licence, un jeu marquant, une console... autour de ses souvenirs personnels, d'anecdotes inédites et autres petits plus qui forgent le style et la passion.


Il est un jeu on ne peut plus régulièrement cité parmi les chefs d'œuvre du média : The Legend of Zelda: A Link to the Past. Sorti en 1991 sur la « petite reine » des consoles, la Snes (la Neo-Geo ayant déjà volé ce titre par le passé), il a véritablement contribué à faire de la Légende de Zelda la saga que l'on connaît encore aujourd'hui. Certes, le premier épisode, fondateur, avait jeté un pavé dans la mare en proposant une immense aventure aux nombreux secrets, contribuant à créer une communauté qui aujourd'hui encore étonne par sa longévité ; mais Zelda II avait déçu par ailleurs, et tout un chacun attendait alors le retour du roi. Nintendo, en proposant une épopée longue et haletante, garnie de secrets et de miracles, avait parfaitement rempli son contrat et même fit la joie de mes compatriotes en proposant, c'était encore très rare, une traduction française d'excellent aloi sur notre territoire.


Le jeu se voulait d'une longueur mesurée : les publicités d'alors montraient un squelette affalé sur un fauteuil, une manette en main, devant sa télévision allumée, et le slogan de préciser : « Combien de temps vous faudra-t-il pour finir Zelda III ? ». De prime abord, A Link to the Past se lit comme une réécriture, ou un remake, du premier numéro. La chose n'était guère nouvelle sur Super Nes en ses premières années, ni même plus tard le long de sa carrière : nombre de « suites » n'étaient là, finalement, que pour proposer une version Super ou « améliorée » des classiques qui ont bercé les enfances de tous. Aussi, si l'on écarte quelques nouveaux jeux qui ont depuis suivi leur bonhomme de chemin, les F-Zero, les Pilotwings et consorts, Super Castlevania IV a été présenté au Japon comme une amélioration de Castlevania, Super Metroid nous ramène sur Zebes après avoir exploré SR 388, Super Adventure Island nous proposait un polissage en règle des aventures du plus lèbre des héros à casquette rouge (hé oui !) et ainsi de suite : A Link to the Past  aurait pu se faire appeler  Super Zelda III sans étonner quiconque.



Le charme de la dénomination, cependant, qui renvoie aux calendes grecques la numérotation qu'avait prise Adventure of Link et qui sera alors le mot d'ordre pour la saga, laisse cependant présager qu'il y a bien plus ici qu'un simple palimpseste : le joueur qui reconnaîtra sans peine l'arc et ses flèches, le boomerang, le Rocher du Spectacle ou les Wizzrobes s'émerveillera alors devant le grappin  ou  les  médaillons  de  puissance,  le  Bourbier  de  la  Souffrance  ou  Trinexx,  la  tortue tricéphale. Surtout, ce qui avait frappé tout un chacun et qui n'a manqué de faire école, ce fut bien évidemment ce passage étonnant entre le Monde de la Lumière et le Monde des Ténèbres, l'aventure se poursuivant alors que l'on croit avoir jà atteint le dernier boss, le vil sorcier Aganhim : c'est soudain  un  univers  deux  fois  plus  complexe,  avec  nombre  de  secrets  et  de  portes  dérobées permettant de voguer de l'un à l'autre qu'il convient alors d'explorer. S'il n'est guère surprenant, aujourd'hui, pour les jeux d'exploiter le thème de la dualité spatiale, la chose était sinon unique, du moins rare et à cette époque les magazines ne composaient que l'unique source d'information des joueurs, nul doute que nombre furent émerveillés de cette charmante idée.

                                         (Zelda III par Orioto)
Au fur et à mesure du temps, parcourir A Link to the Past nous révèle qu'un jeu vidéo, ou qu'une œuvre quelconque par ailleurs, est bien plus que la somme de ses parties. Certes, graphiquement, la Super Nintendo tonne en proposant des sprites incroyablement fins et taillés, des effets de transparence, d'éclair, de pluie impressionnants ; certes, musicalement, les compositions de Koji Kondo étonnent par leur justesse et leur grandiloquence, de la ritournelle wagnérienne qui accompagne l'écran  titre à la sombre valse des donjons  en  passant par  la douceur  du  village Cocorico ; certes, ludiquement, les énigmes diverses mangent à tous les teliers, du labyrinthe pervers aux murs dérobés, des combats acharnés à l'astuce espiègle et à l'agilité preste ; mais il serait pour le moins réducteur de ne considérer ce jeu que comme un assemblage de tous ces éléments, comme s'il fallait mettre sans ordre ni mesure dans une grande marmite truffes, safran des Indes et champagne pour émoustiller les papilles. Ce qui apparaît progressivement, c'est qu'au contraire de certains cuistots en herbe, ici, tous s'accorde agréablement, magiquement, comme allant de soi. Impossible de ne pas fredonner le thème des bois perdus alors que le brouillard les enveloppe et que les voleurs nous harcèlent ; les trompettes du Monde des Ténèbres grandissent en nous alors que nous parcourons les étendues de poussière en décimant les cyclopes pyromanes ; et quand, au sortir d'un éprouvant combat nous ramassons ce pendentif ou ce cristal et que cette mélodie à présent bien connue s'entonne, ne sont-ce pas les battements de notre cœur qui semblent sourdre des enceintes de la télévision ?


Avec le recul réconfortant des années, A Link to the Past apparaît de plus en plus comme un « cas d'école », et je ne serai point surpris d'apprendre qu'on le donne à étudier aux potaches comme modèle illustre à imiter. Sans aller jusqu'à dire que le jeu est parfait, car aucun ne l'est ellement, force est de saluer sa brillante résistance aux affres du temps, le plaisir immédiat et sans ambages qu'il offre dès l'instant où on commence l'aventure, la mélancolie qui peut se dégager de certaines de ses séquences. Il parvient même à accomplir ce que nous avons depuis oublié, l'osmose parfaite entre ludisme et narration, entre histoire et jeu : car la trame de A Link to the Past a, depuis, inspiré nombre d'épigones.


Le manuel du jeu est ainsi un indispensable à quiconque voudrait se plonger dans l'aventure : en plusieurs pages richement illustrées le voilà nous conter le mythe des trois déesses, la création de la Terre d'Or, l'arrivée du Sorcier, et l'histoire de s'achever là où commence toute partie. Dans sa petite chambre qu'il partage avec son oncle, Link est éveillé par la voix d'une jeune fille qui le supplie de venir  la  secourir  dans  les  geôles  du  palais  royal.  Son  parent  sort  de la  demeure,  lourdement harnaché, lui recommandant de s'endormir : mais la curiosité l'emporte bientôt et c'est sous une pluie battante qu'il parviendra à trouver l'entrée d'une cave dérobée et qu'il obtiendra, des mains ensanglantées de sa seule famille, l'épée et le bouclier séculaire qui lui permettront de fendre le diable. En moins d'un instant, le joueur est alors plongé dans une quête dont le rythme ira crescendo et ce sans faire appel à de lourdes cinématiques, à de longs dialogues ou autres artefacts débiles destinés à nous intéresser : ce que propose Zelda III se suffit à lui-même. Il est le buisson ardent qui murmure : « je suis qui je suis », et rien de plus ; il est l'évidence faite jeu, et sa perfection est atteinte non dans le sens qu'il n'est rien à ajouter, mais qu'il n'est rien à enlever.
 

S'il  me  fallait  cependant  reprocher  quelque  chose,  ce  serait  bien  ceci :  sa  facilité  assez déconcertante pour qui aurait suivi la saga depuis ses débuts. L'immense sensation d'indépendance qui nous étreignait sur Nes a été troquée pour une liberté conditionnelle, dépendante directement et unilatéralement de l'acquisition des divers objets d'inventaire qui agissent souvent à la façon de « clés » permettant d'ouvrir de spécifiques serrures, rochers trop lourds à soulever et demandant un gantelet magique ou palmes permettant d'explorer les lacs et rivières. Contrairement alors à ses ancêtres, impossible pour le joueur hagard de se retrouver perdu au cœur du troisième temple alors qu'il cherchait le tout premier d'entre eux !


Cette structure, peuttre mieux affiliée à la série des Metroid, a le grand mérite cependant d'obliger le joueur à se fixer des objectifs clairs et, surtout, de se remémorer lors de ses explorations les endroits alors inaccessibles et où il devra revenir une fois l'expérience idoine acquise ; et quand bien même serait-il alors assez fort pour affronter les épreuves qui l'attendent au-delà de ce mur, encore lui faut-il résoudre les puzzles ignobles que lui ont préparés les concepteurs du jeu. Contrairement même à ce qui s'observera à l'avenir, les développeurs ont réussi ici à ménager quelque peu la « chèvre et le chou » et à proposer une aventure qui sait encore se faire rude du point de vue de l'action, et il n'est pas rare d'être submer par les ennemis alors que l'on cherche son chemin à la lueur d'une faible lanterne : tout est fait, cependant, pour permettre aux joueurs de terminer cette quête même s'il faut parfois suer à grosses gouttes face à un patron récalcitrant.


Tout ceci, je dois le dire, me passait au-dessus du ciboulot à l'époque. J'ai connu A Link to the Past relativement tard, peuttre en 1995 ou 1996, je devais avoir une dizaine d'années, tout au plus. Fervent lecteur de la presse vidéoludique, des Ultra Player, des Super Power et autres, je ne cessais de me faire rabâcher les oreilles par ce Zelda III que je ne connaissais ni d'Ève, ni d'Adam, pas plus que le reste de la saga par ailleurs. Finalement, j'ai demandé à ma mère de me le commander par l'intermédiaire de la Redoute et, une fois le colis reçu, je m'empressais d'y jouer. Je n'ai même pas su atteindre la fin du tout premier donjon et libérer la princesse : je mourrais lamentablement dévorés par les rats et les serpents. De colère, jjectais la cartouche de la console et ne la ressortais que quelques mois plus tard. Il faut dire également qu'à cette époque je ne me piquais guère de jeux d'aventure : je ne me consacrais qu'aux jeux de plates-formes, aux Mario, aux Donkey Kong et autres et aux puzzle-games, étant toujours imbattable à Tetris et à Dr. Mario. Ce n'est qu'alors que j'y repensais succinctement, et que je trouvais dommage de passer à té de ce que l'on me vendait comme un jeu d'exception, que je me fis souffrance et compris alors tout ce que je viens de vous raconter. Comme le dira un jour Bill Watterson, créateur de Calvin & Hobbes : « Right lesson, wrong moment. » Il est des œuvres que l'on ne peut apprécier qu'avec abnégation ou en attendant le moment idoine, et c'est d'ailleurs ce pourquoi je redonne toujours une seconde chance à ce que je n'ai guère aimé, quelques temps après, pour confirmer ou infirmer mes impressions premières : l'âme doit parfois s'épanouir un peu pour goûter le parfum des roses.


Quoi qu'il en soit, je me suis surpris à jouer de façon maniaque à A Link to the Past et encore à présent, je ne pense pas qu'il ne se passe une année sans que j'y revienne, sur la console originale, sur sa réédition sur Game Boy Advance ou par l'intermédiaire de la Virtual Console ; je dois à présent connaître le moindre de ses secrets, la moindre de ses touffes d'herbe, j'ai dû soulever toutes les poteries, tuer tous les monstres. Plus que d'autres jeux que j'ai pourtant épuré au combien, les Little Big Adventure, les Abe's Oddysee, les Rayman, il est celui que je connais jusqu'au bout des doigts et je puis sans nul doute le faire les yeux fermés.


Mon obsession pour ce titre a eu une retombée malheureuse, puis-je dire, mais on peut toujours en discuter : je n'ai su faire autrement que de comparer les jeux d'aventure, en deux dimensions mais également en trois et jusqu'à aujourd'hui, à A Link to the Past. Leur rythme, leur grandiloquence, leur profondeur, leur intelligence, leurs musiques, tout ceci et bien d'autres choses doivent rivaliser avec les sentiments que j'ai pour cet épisode précis de la plus connue des légendes. Peu d'entre eux, il faut le dire également, rivalisent parfaitement même si certains parviennent à s'en approcher, ce qui est jà honorable : mais médiocre est llève qui ne dépasse pas le maître et j'attends encore, lil aiguimais le cœur ouvert à toutes les surprises, l'étudiant qui saura un jour me faire oublier le professeur qui m'asséna un tel magister dixit.

Mathieu Goux 
« Sans doute plus auteur qu'acteur et moins menteur qu'on ne pourrait le croire, je passe mes journées entre mon travail de chercheur en linguistique, la rédaction de mes romans et l'écriture du jeu vidéo. De là, je pense être scientifique sur Radio01.net, nostalgique sur Grospixels.com et vindicatif sur Zeplayer.com. Je ne sais encore si je serai spécialiste en lettres et amateur en jeu vidéo ou le contraire ; mais tant que la musique joue, j'écrirai. »