vendredi 6 décembre 2013

Double Dragon par Guillaume Verdin


Anecdotes de gamers

Une fois par mois (parfois deux) un joueur expérimenté (de la catégorie des passionnés les plus vifs) nous fait revivre une licence, un jeu marquant, une console... autour de ses souvenirs personnels, d'anecdotes inédites et autres petits plus qui forgent le style et la passion.

Comme beaucoup de joueurs trentenaires, je ne viens pas d’un milieu très ouvert aux jeux vidéo, ni au high-tech en général. Durant mon enfance et mon adolescence, j’ai même souvent eu l’impression d’être à la traîne. Je pense que ma famille a sans doute été l’une des dernières en France à s’équiper d’un magnétoscope par exemple. C’est probablement de là que vient ma fascination pour les jeux vidéo et l’image en général. Je ne me souviens plus précisément, mais il me semble qu’à sept ans, mes connaissances sur le sujet étaient proches du néant.


Je n’avais probablement même pas encore vu la moindre borne d’arcade dans un café, lieu où je n’avais de toute façon rien à faire à cet âge. Ce n’est que plus tard que je serai fasciné par ces jeux (Shinobi, Rampage, Operation Wolf) auxquels je n’avais pas le droit de jouer de toute façon.

La Master System et la NES étant à peine implantées en France en 1987, j’imagine que ma vision du jeu vidéo se limite alors au dessin animé Pac-Man. J’avais aussi aperçu une fois, chez des amis de la famille, un jeu qui devait probablement être Conan sur Apple ][. C’était impressionnant mais monochrome et sans scrolling, et surtout la machine avait un prix exorbitant ; ce devait être déjà exceptionnel que les enfants aient le droit de faire une partie.


À l’automne, je faisais ma rentrée au CE2 (j’ai un an d’avance) tandis que mon grand-frère rentrait en sixième. L’arrivée au collège est toujours l’occasion de se faire de nouveaux amis. Moi-même j’y rencontrerai un autre possesseur de Master System quelques années plus tard. Mon frère, lui, a fait la connaissance de Jérôme, et ce Jérôme-là avait la classe, parce qu’il avait un Atari ST. Non seulement je n’avais jamais entendu parler de ce micro-ordinateur (ni même d’Atari), mais je ne devais probablement pas imaginer un seul instant qu’une machine accessible au public puisse afficher des jeux en couleur. Inutile de dire que Jérôme est vite devenu le meilleur ami de mon frère, qui rêvait lui aussi d’avoir un jour son ordinateur.


Éric et moi avions déjà à l’époque de grandes conversations sur les films et les jouets, et nos quatre ans d’écart n’ont jamais été un obstacle. Étrangement, l’un des moments les plus propices à ces discussions animées était le long trajet – au moins vingt minutes à pied compte tenu de notre âge – pour aller à l’Église. C’était au siècle dernier, à l’époque où on allait encore à la Messe tous les dimanches… Cela nous ennuyait profondément mon frère et moi, et on passait la majeure partie de l’office à faire les idiots, mais en silence. C’est pourquoi le trajet restait le meilleur moment pour parler de tout et de n’importe quoi.

Un dimanche, donc, à l’aller ou au retour, je ne me souviens plus, mon frère me raconte qu’il est allé chez son ami Jérôme et a passé l’après-midi à jouer sur l’Atari ST. Il m’a probablement décrit des tas de choses concernant la machine et les jeux, mais je n’ai retenu qu’une seule chose, et c’est aussi ce qui l’avait marqué le plus : Double Dragon.

 Il m’avait expliqué qu’on se déplaçait dans les rues pour taper des méchants et qu’à la fin, y en avait un très fort qui avait une grosse tête. Ce dont je me souviens très bien, c’est la manière totalement erronée dont je me figurais le jeu. Jusqu’alors, je n’avais jamais vu le moindre scrolling ; cette notion m’était totalement étrangère et je ne suis même pas certain que je l’aurais comprise si on me l’avait expliquée. Il est également important de préciser qu’à l’époque, la vue « de trois quarts » était assez moderne. Elle était apparue dans Renegade du même auteur l’année d’avant, et jusque là, tous les beat ‘em up étaient vus de côté. Ainsi, lorsque mon frère me parlait de se promener dans les rues, je m’imaginais un labyrinthe vu du dessus à la Pac-Man, et des petits bonhommes se poursuivant dedans pour se donner des coups. 

Je me souviens bien avoir posé beaucoup de questions, car je ne comprenais pas comment on pouvait voir les devantures des magasins avec autant de détail par exemple. Il y avait quelque chose de totalement paradoxal à voir un décor simultanément de profil et du dessus. Le seul élément que j’avais correctement imaginé, c’était le fameux Abobo, qui était effectivement un type avec une tête énorme. Les idées et les images se bousculaient dans ma tête, et c’était d’autant plus cruel que je n’aurais probablement pas l’occasion de voir le jeu moi-même à moins, bien entendu, que nous ne fassions l’acquisition d’un Atari ST à la maison.


Or à cette époque, ma grande sœur, l’aînée de la famille, réclamait une chaîne HiFi. Et nous n’avions pas de magnétoscope, qui aurait pourtant servi à tout le monde. Mon père ne dépensait pas l’argent à la légère, et même s’il pouvait être prêt à payer plus cher si c’était « nécessaire », ce genre d’achat nous demandait pas mal de lobbying. Je me souviens avoir, pendant un repas, organisé un petit tirage au sort pour déterminer dans quel ordre on achèterait le magnétoscope, la chaîne de ma sœur et l’ordinateur de mon frère.

Si l’on finira effectivement par faire l’acquisition de ces trois appareils, ce sera précisément dans l’ordre inverse de mon tirage au sort. Du haut de mes sept ans, les négociations m’ont paru interminables, mais elles n’ont en réalité pas duré si longtemps ; mon frère a eu son Atari ST pour ses onze ans en novembre 1987. Et même si le fait de pouvoir copier les jeux devait faire partie des arguments de la tractation, nous avons eu quelques jeux en boîte. Et le premier d’entre eux, celui qu’on a eu avec l’ordinateur, c’était bien entendu Double Dragon.

Double Dragon par Wild Sprites

La version ST n’est probablement pas la meilleure, mais il est bien évident que cela n’avait aucune importance pour moi. Un jeu qui met en scène deux frères pratiquant les arts martiaux ne pouvait que fortement impressionner l’enfant que j’étais. Je passais déjà de longs moments devant le superbe écran-titre, accompagné de ce thème musical inoubliable. Je ne me souviens plus quand est-ce que l’on a fait l’acquisition d’un second joystick, mais il est clair que j’ai longtemps été frustré de ne pouvoir jouer à deux. On faisait apparaître le second joueur, et on le laissait se faire taper sans pouvoir se défendre. On a peut-être même dû essayer de le contrôler à la souris !


C’est sans doute pour cela que par la suite, je donnerai beaucoup d’importance à la possibilité de jouer en coopération. Et puis sans être un RPG, Double Dragon avait un univers foisonnant ; dans le manuel d’instructions, chaque ennemi était référencé avec son nom, sa taille, son poids… Plein d’informations inutiles que je m’efforçais de mémoriser tandis que je coloriais leurs silhouettes monochromes (vilaine habitude que je conserverai hélas avec les manuels de la Master System – après tout, ils n’avaient qu’à mettre de la couleur eux-mêmes !).


Ma mère devait déjà regretter que l’on ait assouvi le caprice de mon frère. Lorsqu’on ne joue pas aux jeux vidéo, on en subit en général la bande-son, qui est par nature bien souvent répétitive et peu agréable hors contexte. Je me souviens très bien qu’elle se plaignait de tous ces râles de mort qui ressemblaient à des vomissements. Ironiquement, je comprendrai presque vingt-cinq ans plus tard, en découvrant Street Gangs où ces bruitages sont sous-titrés (« BARF ! »), que ce choix de design sonore était parfaitement intentionnel. D’ailleurs, de l’eau a coulé sous les ponts et j’ai été très surpris de voir ma mère me demander (en plaisantant un peu, mais quand même) un autographe de Yoshihisa Kishimoto car elle disait très bien se souvenir de Double Dragon !


Sa venue à Japan Expo a été évidemment un moment très émouvant pour moi, car ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre le créateur de l’œuvre qui a grandement façonné votre vision d’un médium.


Car aujourd’hui, même si je ne place pas forcément Double Dragon dans la liste de mes jeux favoris, son influence sur mes goûts est indéniable. Je cite souvent Die Hard Arcade sur Saturn comme mon jeu préféré, et mon « top dix » figurerait forcément Streets of Rage 2 sur Megadrive, en bonne position qui plus est. Si mon goût pour les jeux en coopération s’explique aussi par ma qualité de « petit frère », il est clair que le beat ‘em up a toujours été mon genre de prédilection.


Au point que passée la Saturn, je n’ai jamais retrouvé de jeu équivalent. Le genre est maintenant axé sur le solo, multiplie les combos et les « contres » au détriment des armes et de la liberté donnée au joueur de varier ses attaques. Il s’est rapproché du jeu de baston, qui a justement précipité le déclin du beat ‘em up. Je me souviens d’ailleurs que mon frère Éric ne comprenait même pas l’intérêt de Street Fighter II à sa sortie ; comment peut-on trouver amusant un beat ‘em up dans lequel il y a un seul ennemi à la fois, pas d’arme et des décors dont on fait le tour en deux-trois écrans ?


C’est aussi pour cela que Double Dragon aura toujours une place importante pour moi ; c’est à la fois le symbole de ma découverte du jeu vidéo et d’une époque révolue.

Guillaume Verdin

« Michel Houellebecq a écrit de H.P. Lovecraft, avec qui je partage ma date d'anniversaire, qu'il "constitue un exemple pour tous ceux qui souhaitent apprendre à rater leur vie, et éventuellement, à réussir leur œuvre". J'ai donc déjà accompli 50% du boulot... Segafan passé chez l'ennemi avec la GameCube et toujours dans le camp minoritaire, j'ai toujours rêvé de devenir réalisateur de film ou créateur de jeux vidéo, voire les deux à la fois idéalement. Ingénieur en informatique dans une autre vie, je mets depuis quatre ans mon obsession de la mise en page et de la ponctuation au service du site d'actualité de l'association MO5.COM, Le Mag, et des podcasts associés. Plus rarement, je mets ma science infuse au service de la formation en prise de vue ou d'ateliers de créations de jeux vidéo. »


1 commentaire:

  1. Bravo ! c'est un joli témoignage dans les entrailles de Guillaume.. moi ça me plait totalement ce genre de texte, d'avantage tourné vers la sensibilité et le ressenti qu'une description technique détaillé style petit Larousse ! :)
    En plus moi aussi j'étais le petit frère de 4 ans de moins et ça renforce forcément l'empathie.
    Merci Guillaume et merci Vincent :)
    Longue vie au Retroblog.

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